Dossier méthanisation – Partie 1

La méthanisation quésaco ? 

La méthanisation consiste à mélanger des déjections animales, des cultures intermédiaires (avoine, orge…), des résidus végétaux, divers déchets organiques dans un digesteur appelé aussi méthaniseur. Cette grosse marmite chauffe la mixture à 38°C pendant au moins 40 jours. Le principe repose sur la dégradation de la matière organique par des micro-organismes en absence d’oxygène (anaérobie). Après dégradation, on obtient un digestat (produit humide), concentré d’azote, de phosphore et de micro-organismes. Le biogaz qui se dégage de la marmite est composé de 50 à 70% de méthane (CH4), de 20 à 50% de gaz carbonique (CO2) et de quelques traces d’ammoniac, de sulfure et d’azote.

Ce biogaz est considéré comme une source d’énergie renouvelable car il peut être utilisé de diverses manières : soit sous la forme d’un combustible pour produire in fine de l’électricité et/ou de la chaleur ou être directement injecté dans le réseau de gaz naturel, soit sous la forme d’un carburant : le bio méthane.

Cette technique s’est développée dans les secteurs agricole et industriel qui disposent d’importants déchets qu’il s’agisse de fumiers, lisiers, boues d’assainissement et autres déchets organiques (végétaux, de l’agro-alimentaire…). Le bénéfice est double: valoriser les déchets organiques tout en produisant de l’énergie. En France, les installations concernent l’industries (agroalimentaire, papeterie, chimie), les stations d’épuration des eaux usées urbaines et les installations liées au traitement de déchets ménagers (après un tri mécanique ou collecte séparée des biodéchets). Mais c’est à la ferme ou en installations centralisées (installations de grande taille regroupant plusieurs agriculteurs qui mobilisent et traitent les déchets d’un large territoire) que le secteur se développe le plus (70 créations par an depuis 2015).

Les éleveurs gaziers

Depuis de nombreuses années, les agriculteurs souffrent du poids des charges qui leur incombent et de la fluctuation des prix du lait et de la viande. Victime de la concurrence des autres pays européens qui produisent à moindre coût, la production française (labellisée ou non) est parfois vendue en dessous de son prix de revient. Les laitiers sont les plus touchés.

Un certain nombre de gros éleveurs voient en la méthanisation une opportunité pour diversifier leur activité et gagner en qualité de vie. A première vue, elle offre une méthode simple et efficace pour valoriser les déjections transformées en ressource avec le digestat qui est épandu en guise d’engrais sur les terres. La chaleur dégagée par le dispositif sert à chauffer l’exploitation et la vente de l’électricité produite apporte un complément de revenu non négligeable. Cependant ce n’est pas une solution miracle et elle s’adresse d’abord aux éleveurs dont l’exploitation est en suffisamment bonne santé financière pour pouvoir investir.

Malgré le coût de l’investissement, les unités de méthanisation à la ferme continuent de se multiplier car les initiatives sont soutenues par les pouvoirs publics. Les subventions d’investissement sont de l’ordre de 20% et le prix de rachat de l’électricité est attractif. Pour un méthaniseur d’une puissance de 180 KW, ce dernier est d’environ 21 centimes d’euros le kWh (plus la puissance du digesteur augmente, plus le prix de rachat diminue). Il est intéressant de noter que ce tarif est supérieur au tarif de base vendu par EDF aux consommateurs soit environ 16 cts/kWh. De surcroît, les contrats sont établis sur vingt ans. Ce qui permet pour un méthaniseur de cette puissance un retour sur investissement d’environ 15 ans.

Dans le prix de rachat est incluse une prime aux effluents (elle est maximale si les effluents d’élevage dépassent les 60% du mélange méthanisé). Son objectif est de limiter l’incorporation des cultures principales et intermédiaires (les CIVE) dans les digesteurs. Mais le potentiel méthanogène est très disparate selon les intrants. Les déjections animales ont un faible pouvoir méthanogène tout en permettant un équilibre physico-chimique indispensable à l’intérieur du digesteur. Les résidus de culture tels que les résidus de maïs et de céréales contiennent quant à eux une forte teneur en carbone et un taux élevé de matière sèche. Combinés, ils servent de support aux micro-organismes.

Cependant, en dépit des subventions qui supportent une partie de l’investissement, les pouvoirs publics font le choix de développer une politique énergétique en faisant porter le risque aux agriculteurs dont la dette est déjà conséquente. Le coût d’investissement pour une unité de méthanisation est très élevé, entre 6.000 à 12.000 € par KW (dégressif selon la taille) et la cogénération n’est viable que grâce à un tarif de rachat privilégié qui peut baisser à tout moment. N’y a-t-il pas un paradoxe entre une production alimentaire sous rémunérée et une production d’électricité généreusement rétribuée ?

Un monde agricole divisé 

Pour les agriculteurs « convertis », la méthanisation engage dans « un cercle vertueux en circuit court et conduit à plus d’autonomie ». Ainsi, ils mettent en avant la réduction de leur dépendance aux engrais minéraux et aux produits phytosanitaires grâce à l’épandage du digestat. D’après une étude de l’INRA, la digestion anaérobie augmente la valeur fertilisante azotée et la valeur amendante organique tandis que le flux de carbone entrant dans le sol serait inchangé. De plus, le digestat se substitue au fumier qui introduisait des mauvaises herbes dans les parcelles.

Selon ces agriculteurs gaziers, la méthanisation n’a rien changé aux pratiques et elle encouragerait plutôt une agriculture respectueuse de l’environnement avec l’allongement des rotations, la diversification des assolements et  la valorisation des couverts d’intercultures (CIVE), des méthodes qui améliorent la structure des sols et favorisent la vie biologique. Pour les éleveurs implantés en zone touristique, réduire les nuisances olfactives de l’épandage traditionnel est un autre argument en faveur de la méthanisation. Pour d’autres, les entrées et sorties de l’unité favorisent les échanges avec les autres exploitations du territoire (comme l’échange paille de maïs/digestat).

Si certains éleveurs sont autosuffisants en matière de substrats, d’autres ont fait le choix inverse et leur approvisionnement vient de l’extérieur (fumiers d’autres fermes, résidus céréaliers, résidus d’huile de colza et de tournesol, du marc de pomme et d’agrumes, déchets d’industries agro-alimentaires…). Malgré une importante dépense pour l’achat des déchets, la production de méthane ainsi optimisée permet de rester bénéficiaire. Un choix qui cependant éloigne de la vocation agricole et alourdi le bilan carbone de l’opération à cause de l’acheminement en camion des « aliments » du digesteur.

A l’opposé, nombre d’agriculteurs dénoncent le principe de produire des céréales pour alimenter une « usine à gaz ». Pour eux, les produits agricoles sont détournés de leur vocation première à savoir nourrir les hommes et les animaux d’élevage. Quant à la prime de rachat conçue pour inciter l’agriculteur à limiter ce type d’intrant, elle n’est pas selon la Confédération paysanne un garde-fou suffisant. Rentabiliser une unité industrielle de méthanisation nécessite un apport à haut pouvoir méthanogène et la tentation est grande de produire du maïs en quantité pour alimenter l’installation car plus la matière est riche en carbone, plus le processus de transformation en méthane est efficace. On observe déjà une concurrence sévère entre cultures alimentaire et énergétique et notamment entre le maïs destiné aux bêtes et le maïs à vocation énergétique. Par exemple, d’après le témoignage, en 2020, d’un agriculteur du Finistère, le maïs sur pied qu’il achetait 1.000 € l’hectare est passé à 1400 €.

Bien que, depuis 2016, la loi TECV (loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte) encadre l’utilisation des cultures énergétiques et limite les cultures principales à 15% des substrats, ni les cultures intermédiaires, ni les prairies permanentes ne sont comprises dans ces 15%. Toujours d’après la Confédération paysanne, « on observe donc sur le terrain des stratégies pour alimenter les méthaniseurs : maïs en cultures intermédiaires, prairies ensilées, etc. Trop de végétaux qui ne sont pas des déchets alimentent les méthaniseurs, au détriment de la souveraineté alimentaire et de la solidarité entre paysan.nes ». Une situation qui « provoque des accaparements de terres et un renchérissement du prix du foncier ».

Alors que beaucoup de résidus, comme la pulpe de betterave, utilisés jusqu’ici pour les bêtes, prennent maintenant le chemin des digesteurs et qu’il faut acheter des aliments pour les remplacer, bien des agriculteurs pensent que « le monde agricole marche sur la tête ». Pour eux, si le revenu de la méthanisation passe au premier plan, on court le risque que « le lait devienne un sous-produit ».

Par ailleurs, selon un rapport du Collectif Scientifique National Méthanisation, la méthanisation entraîne une accélération du cycle du carbone. Traditionnellement, les fumiers nourrissent les sols avec leur carbone. En mettant ce carbone dans le méthaniseur, il revient rapidement dans l’atmosphère sous forme de gaz carbonique (CO2) plutôt que d’être stocké durablement dans les sols.

Enfin, la méthanisation est une activité à risques et des accidents surviennent régulièrement: fuites de méthane  qui peuvent déclencher une explosion (l’effet de serre engendré par le méthane est 25 fois plus élevé que celui du CO2 ), débordement de cuve de digestats provoquant des risques sanitaires et environnementaux (ex: pollution en ammoniaque d’un fleuve côtier qui alimente une usine d’eau potable dans le Finistère en 2020).

 

La semaine prochaine, nous comparerons le modèle allemand et les ambitions françaises.