Dossier méthanisation – Partie 2

Le modèle allemand

L’Allemagne est pionnière dans le domaine de la méthanisation grâce à sa loi sur les énergies renouvelables (loi EEG) votée en 2000 qui fixe un prix de rachat supérieur à celui du marché pour les kWh produits à partir des énergies vertes et surtout grâce à de généreuses subventions pour la production de méthane à partir de plantes cultivées. En 2012, l’Allemagne concentrait 80% des installations mondiales de biogaz selon un article de Der Spiegel et possédait les deux plus grands sites industriels de Pekun et de Güstrow (production de 20 Mégawatts chacune: 40 000 ménages fournis en électricité). En 2014, elle couvrait avec ses digesteurs les besoins en énergie de 6,8 millions de ménages. Le pays comptait, en 2019, 10 394 unités de méthanisation (source OFATE, Office franco-allemand pour la transition énergétique) contre 809 unités en France. Pour l’essentiel, le biogaz y est valorisé en électricité.

Pour atteindre un tel niveau de développement du biogaz, l’Allemagne a du promouvoir la culture du maïs, plante énergétique. Les agriculteurs ont répondu à l’incitation au-delà des espérances et la méthanisation leur a permis d’assurer bien plus qu’un complément de revenu. Mais ils ont rapidement été concurrencés par les gros investisseurs qui ont vu une manne dans la production de biogaz. Les sociétés agro-industrielles ont accaparé les terres au détriment des agriculteurs tandis que la monoculture essentiellement du maïs a conduit au changement d’affectation des sols et encouragé une agriculture productiviste au préjudice des équilibres écologiques et de la biodiversité.

Le parc de Pekun sur 20 hectares

La société IBBK (Internationales Biogas und Bioenergie Kompetenzzentrum) pointe l’avantage de la fermentation des plantes énergétiques: pas de risque vétérinaire, utilisation illimitée dans les exploitations d’élevage, zéro dépendance aux prix du marché des déchets organiques, débouché illimité du digestat en tant qu’engrais ne contenant aucun métaux lourds ou substance toxique.

On estime que les méthaniseurs – en moyenne de 500 KW – absorbent 350 ha de maïs d’ensilage par an. Ainsi, l’utilisation de celui-ci dans les unités allemandes a conduit à un développement exponentiel des surfaces agricoles destinées à la production de biogaz. En 2014, sur 2,5 M d’hectare de maïs cultivé, 820 000 ha soit un tiers, était dédié à cet usage représentant 75% des cultures de maïs de toute l’UE pour la méthanisation. Une situation qui n’est pas sans conséquence.

Elle a engendré une flambée du prix des fermages avec un renouvellement en fin de bail au plus offrant quand les terrains ne sont pas rachetés par une usine de méthanisation ou par les agriculteurs qui leur fournissent les céréales énergétiques. La bulle spéculative sur les terres agricoles a provoqué une hausse importante du prix des terres arables (le prix de l’hectare avait atteint 80.000€ en 2012, dans le nord de l’Allemagne). La production laitière allemande est devenue dépendante de la concurrence exercée par le développement des surfaces agraires destinées à la production de biogaz et les agriculteurs qui n’ont pas fait le choix de l’énergie verte sont restés sur la touche.

L’activité de méthanisation a aussi entraîné une transformation des paysages avec le retournement accru des prairies et une baisse régulière du cheptel allemand. En Bavière, 90% des zones de prairies riches en biodiversité ont disparu, souvent victimes du maïs. On retrouve celui-ci aussi planté sur des tourbières. En 2013, 2,2 millions d’hectares avaient quitté l’alimentaire, soit 20% dans certaines régions.

Ainsi, le bilan écologique du biogaz en Allemagne est désastreux. Selon un calcul de l’association écologiste Nabu, la quantité de carbone séquestrée dans les sols qui est relâchée dans la méthanisation serait de 700g de CO2 au kWh soit autant que certaines centrales au charbon. Une autre inquiétude est relayée par les responsables de la qualité de l’eau. Elle concerne les tonnes de déchets de digestion utilisés comme engrais sur les champs de maïs. Les charges en nitrates mesurées dans les nappes de surface sous les champs de maïs se situent à plus du double des valeurs autorisées. Autre dérive, la culture de maïs ayant atteint les limites écologiques, la filière biogaz a eu recours à l’importation de maïs de Pologne et de République Tchèque pour produire davantage d’électricité subventionnée.

En 2012, cette situation conduit le gouvernement allemand au vote d’une nouvelle loi EEG qui réduit l’utilisation de maïs et de céréales à 60% maximum du poids total des intrants. Pour pallier à cette limite, les producteurs de méthane se tournent vers les cultures de betterave sucrière et de sorgho qui se multiplient à leur tour. L’utilisation des effluents d’élevage est aussi encouragée financièrement, notamment pour les petites installations qui utilisent à 80 % des déjections animales. En 2014, les tarifs d’achat préférentiels de l’électricité à partir des cultures énergétiques sont supprimés. Depuis 2017, l’Allemagne fait de nouveau marche arrière en limitant l’apport de maïs comme substrat à 44%. Objectif : « augmenter le rendement des unités existantes, travailler sur d’autres cultures, sur la valorisation des déchets ». Ce qui explique que le nombre de nouvelles installations n’ait guère évolué depuis 2015 hormis de petites installations au lisier d’une puissance maximale de 75 kW tandis que la puissance des unités existantes n’a cessé d’augmenter pour arriver à une moyenne de 400 kW par site.

Dans le même temps,  la colère des contribuables s’amplifie car l’augmentation des coûts générés par les énergies renouvelables est payée par les consommateurs dont la facture d’électricité a grimpé d’année en année pour atteindre aujourd’hui 30,43 cents/kWh. En se basant sur la consommation moyenne d’électricité d’un ménage en France, la facture est d’une cinquantaine d’euros par mois contre plus de 90 euros de l’autre côté du Rhin. Enfin, l’électricité est aussi plus taxée en Allemagne : 25 euros le mégawatt/heure hors TVA chez nous contre 98 euros, dont plus de la moitié est la conséquence du développement des énergies renouvelables.

D’après une synthèse de l’OFATE, la réduction significative des subventions qui assuraient la rentabilité des installations et la durée de vie limitée de celles-ci devraient entraîner, selon le scénario de référence, la mise à l’arrêt des unités existantes et la disparition progressive du parc d’installations de biogaz en Allemagne d’ici 2035.

Les ambitions françaises 

Alors que la méthanisation était déjà mature en Allemagne, elle commençait à se développer en France. En 2013, le plan énergie Méthanisation Autonomie Azote (EMAA) est lancé. Il vise à valoriser l’azote organique, en l’occurrence celui des effluents d’élevage pour diminuer la dépendance de l’agriculture française à l’azote minéral et permettre aux exploitations d’atteindre une plus grande autonomie. L’objectif était de développer en France, à l’horizon 2020, 1000 méthaniseurs à la ferme, contre 90 à fin 2012.

Evolution du parc français de méthanisation à la ferme

Il faut attendre 2014, pour que la France, après avoir longtemps tergiversé, adopte une politique volontariste pour favoriser la production de biogaz et mette en place une des législations les plus complètes en la matière. Celles-ci sont fixées par la loi relative à La Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) de 2015 et la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), fin 2016. La LTECV définit les quantités de cultures énergétiques et alimentaires valorisables en méthanisation. Elle autorise aussi les résidus végétaux et certaines cultures intercalaires à vocation énergétique tandis qu’un décret de 2016, pose la limite de 15% pour l’alimentation des centrales en cultures énergétiques ou alimentaires produites à titre de cultures principales. Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation autorise la méthanisation des substrats suivants : fumier, déchets agricoles et certaines cultures énergétiques, certains déchets de l’industrie agroalimentaire (fruits et légumes, déchets d’abattoirs, graisses, etc.), déchets de restauration, biodéchets ménagers, biodéchets des supermarchés et de la distribution, et boues d’épuration des stations de traitement des eaux usées.

Pour l’ADEME, « la méthanisation est une filière prometteuse aux bénéfices multiples, tant en termes environnementaux (traitement des déchets, production d’énergie renouvelable, diminution des émissions de gaz à effet de serre…) que de diversification des activités agricoles, notamment pour les éleveurs » (Avis de l’ADEME 2016). L’agence précise que son principal gisement est le secteur agricole et que tout type d’installation de méthanisation constitue un outil industriel. En développant la méthanisation pour le secteur agricole, l’ADEME évalue un potentiel d’énergie à l’horizon 2030 d’environ 6 Mtep (Mégatonne équivalent pétrole) sachant que la consommation d’énergie primaire en France était de 233 Mtep en 2019 (source BP Statistical Review). Le Code rural quant à lui définit la méthanisation comme une activité agricole à condition qu’au moins 50 % des matières entrantes soient issues d’exploitations agricoles et que le capital de la structure soit détenu majoritairement par des agriculteurs.

Si l’objectif du plan EMAA pour 2020 n’a pas été complètement atteint, la politique incitative a porté ses fruits. En mars 2018, la filière méthanisation représentait, selon le ministère de la Transition écologique et solidaire, environ 400 installations agricoles, territoriales et industrielles, dont 230 à la ferme. Depuis, les mises en services d’unité se sont accélérées et en 2020, 812 unités en service et 362 en projets étaient recensées.

Contrairement à l’Allemagne, les ambitions françaises concernant l’injection de biométhane (biogaz épuré) dans les réseaux de gaz (distribution ou transport) sont élévées. Fin 2020, les installations le permettant étaient au nombre de 214. Or, pour répondre à l’objectif fixé par la LTECV de parvenir à 10 % de gaz « renouvelables » dans les consommations de gaz naturel à l’horizon 2030, il faudrait mettre en service environ 5784 méthaniseurs. Et pour atteindre les 100% de biogaz à l’horizon 2050, comme le suggère une étude de l’ADEME, 42 800 unités de « gros calibre » seraient nécessaires. La filière s’interroge : qu’adviendra-t-il du prix de rachat du gaz « vert » qui est aujourd’hui trois fois supérieur au prix pour le consommateur ? Combien de temps l’État va-t-il pouvoir garantir ce prix de rachat ? En novembre 2020 un nouvel arrêté prévoyait une baisse des tarifs d’achat et introduisait une dégressivité trimestrielle.

Le ministère de la Transition écologique et solidaire considère le gaz issu de la méthanisation comme une énergie renouvelable car avec 10% de biogaz en 2030, il permet d’éviter 12 millions de tonnes de CO2 par an (3% de nos émissions) prévoit le ministère. Avec un système gazier en 2050 basé à 100% sur du gaz renouvelable, 63 millions de tonnes de CO2 par an seraient économisées, selon l’ADEME.

Des objectifs compatibles avec l’agriculture paysanne ?

Actuellement, la majorité des unités installées à la ferme sont des petites unités en dessous de 10 000 tonnes de matières entrantes par an, soit d’une puissance inférieure à 285 KW. Or, pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé, l’Etat, encouragé par le lobbying très actif des entreprises gazières, est amené à subventionner en priorité les grands projets de méthaniseurs. «  Passer à une échelle plus large suppose de développer des méthaniseurs de grande taille », confirme un écrit du ministère de la Transition écologique et solidaire. Ainsi, seuls les grands projets de centrales sont éligibles à l’offre de prêt mise en place par l’État et qui peut aller jusqu’à un demi-million d’euros.

Avec ses 97 installations en fonctionnement (2019) et 30% de ses communes raccordées au réseau de distribution du gaz, la Bretagne est un bon laboratoire pour observer la tendance des futures mises en services.  Un pacte biogazier breton, signé en 2019, entre l’État, la Région Bretagne, l’Ademe et GRDF notamment, prévoit que l’objectif de 10% de biogaz injecté dans les réseaux soit atteint dès 2025. Plus de 150 projets d’injection étaient en cours de réflexion en 2020, dont 90% portés par le monde agricole. Or, il s’avère que la majorité des projets de demande de subvention concernent des méthaniseurs au sein d’élevages industriels démesurés, projets qui encouragent les grandes exploitations à s’accaparer toutes les terres disponibles. Selon René Louail, ancien conseiller régional écologiste de Bretagne interrogé par le média indépendant Bastamag « on assiste à la deuxième révolution silencieuse de l’agriculture, qui balaie complètement l’agriculture paysanne. « 

Pourtant, contrairement à l’Allemagne, la France, avec sa réglementation fixant la limite de 15% maximum de cultures alimentaires dans le plan d’approvisionnement des méthaniseurs, semblait s’être prémunie contre les dérives observées outre-Rhin…

Les petites unités fonctionnent en général avec les propres déchets de la ferme, complétés parfois avec quelques intrants extérieurs qui peuvent être issus de l’industrie agroalimentaire. Daniel Chateigner, membre du Collectif Scientifique National Méthanisation raisonnée (CSMN) observe que « ça se complique avec les grosses unités, faussement appelées « agricoles collectives », où l’on injecte 40 000, voir 50 000 tonnes d’intrants par an. C’est pourtant celles-ci que le gouvernement veut développer ». Ces installations font craindre des compétitions pour l’approvisionnement en substrat et une concurrence entre les cultures alimentaires et les cultures énergétiques.

Un phénomène qui s’étend de façon inégale à tout le territoire français comme en témoignent des actions de paysans dans plusieurs régions.  Dans l’Orne, par exemple, la Confédération paysanne  protestait contre une unité de méthanisation dont les exploitants ont acquis 100 hectares de terres cultivées pour alimenter le digesteur. Elle constate également un prix des ressources fourragères bien au-dessus des prix pratiqués avant l’arrivée des méthaniseurs – 80 euros, contre 40 euros la tonne de paille à presser.

Selon les calculs du CSNM, atteindre l’objectif de 10% de méthanisation de gaz en 2030 impliquerait de consacrer plus de 18 000 km² – soit la superficie de trois départements français – à des cultures à destination des méthaniseurs.  Alors comment remplacer tout le biogaz importé par le biogaz produit d’ici 2050 ? Il semble qu’une erreur de calcul se soit glissée dans les prospectives des décideurs. Pour une grande part, les gaziers (Engie, GRDF, GRTgaz, Coénove…) influencent la décision publique. Preuve en est lorsque la région des Hauts de France annonce « plusieurs milliers d’installations agricoles et des millions de tonnes d’intrants » d’ici 10 ans (alors que 1000 unités = 1 unité tous les 5 km) tout en précisant qu’elle s’appuie sur des « dires d’experts » de GRDF qui pourront être revus à la baisse… De son côté,  la Haute autorité à la transparence de la vie publique confirme le lobbying très actif de GRDF.

A noter qu’en 2018, juste avant son départ du gouvernement, Nicolas Hulot a signé un décret qui relève à 100 tonnes de matières entrantes par jour (soit plus de 36 000 tonnes par an) au lieu de 30, le seuil en dessous duquel un projet d’installation ne doit pas faire l’objet d’une enquête publique et administrative (installation dite « hors régime d’autorisation en installation classée »)Or, dans la mesure où un gros méthaniseur de 610 KW consomme 30 tonnes d’intrants par jour, peu de projets sont aujourd’hui concernés par l’enquête publique.

La méthanisation encourage inévitablement un certain modèle agricole. En effet, pour garder son indépendance en terme d’approvisionnement en intrants, les projets individuels de méthanisation impliquent de gros élevages. Selon Solagro (société d’ingénierie et de conseil), les installations en fonctionnement en France dépassent une puissance de 100 kW électrique. Pour pouvoir alimenter ce type d’installations, il faut disposer de fumier produit par 300 vaches et optimiser son unité implique de laisser les animaux en stabulation, les effluents à proximité du méthaniseur pour le nourrir quotidiennement. La méthanisation semble assez contradictoire avec l’agriculture paysanne soucieuse d’élevage en plein air. Solagro révèle d’ailleurs être sollicité principalement pour des projets de méthanisation couplés avec des élevages industriels tandis que René Louail associe la méthanisation à « une pompe à subventions pour soutenir l’agriculture industrielle en crise structurelle ». A titre d’exemple, pour une unité de méthanisation (biogaz injecté dans le réseau) adossée à trois exploitations agricoles qui recensent au total 240 truies naisseur-engraisseur (soit environ 3500 têtes) et 100 vaches (production laitière) fournissant 11 000 tonnes d’intrants par an, l’investissement est de 2 468 000 € HT. Le montant des subventions obtenues est de 470 000 € qui se décomposent comme suit :  300 000 euros de l’ADEME, 120 000 euros de la région et 50 000 euros du département.

A y regarder de plus près, la méthanisation ne serait donc pas une énergie aussi verte et aussi « propre » qu’on veut nous le faire croire ?

Alors que le gouvernement s’apprête à intensifier le développement de la filière de méthanisation, via la programmation pluriannuelle de l’énergie, la Confédération paysanne estime qu’il est urgent de réaliser un premier bilan de la méthanisation en France par des évaluations sur le terrain et une Analyse de Cycle de Vie (ACV) complète, prenant en compte l’ensemble des impacts environnementaux.

 

A NOTER: Depuis le 10 mars et jusqu’au 30 mars, le gouvernement a mis en place une consultation publique méthanisation agricole où il nous interroge sur les textes de loi encadrant l’installation et le fonctionnement des usines à risque environnemental.

 

La semaine prochaine, la dernière partie de notre enquête sur la méthanisation se focalisera sur les enjeux de la production de biogaz dans notre département du Lot au regard des spécificités de notre territoire.