Il y a 150 ans, la Commune de Paris

En cette période de commémoration napoléonienne, qui bien évidemment a marqué et façonné une partie de l’Histoire de France, nous ne pouvons pas passer sous silence les 150 ans de la Commune de Paris, qui bien qu’éphémère (72 jours) a durablement marqué les esprits, et bien au-delà de la France.

Tout commence avec la guerre que déclenche Napoléon III le 19 juillet 1870 contre la Prusse de Bismarck.

La guerre est de courte durée puisqu’encerclée à Sedan, l’armée française capitule le 2 septembre 1870 et Napoléon III est capturé. Sous la pression populaire, l’empire tombe et la République est proclamée ; Gambetta (lotois d’origine, il a une statue à Cahors) est nommé ministre de l’intérieur puis ministre de la guerre.

Le nouveau gouvernement proclame sa volonté de continuer la guerre, mais dans les faits il œuvre en coulisses pour faire accepter la défaite aux français, de peur de l’arrivée de socialistes au pouvoir à Paris.

De fait, les prussiens finissent par encercler la capitale le 17 septembre et c’est progressivement la famine avec le célèbre épisode où les parisiens sont conduits à manger les animaux du Jardin des Plantes pour survivre.

Le 18 janvier 1871, la défaite est consommée et l’empire allemand est proclamé au château de Versailles ; un armistice est signé le 28. Ces événements, appris après coup, font monter la colère chez les parisiens.

Des élections sont organisées le 8 février dans la précipitation, afin de faire valider l’armistice et la défaite française. Au niveau national ce sont les monarchistes qui l’emportent (avec le slogan « pour la paix »), mais à Paris ce sont les républicains (avec le slogan « pour la poursuite de la guerre ») qui sont majoritaires.

Les parisiens s’estiment ensuite trahis avec la nomination de bonapartistes aux postes clé de leur administration (préfet de police, gouverneur et garde nationale) et l’interdiction des principaux journaux de gauche.

Inquiète de la situation en ébullition à Paris, l’Assemblée Nationale se replie sur Versailles.

Le 1er mars les troupes prussiennes défilent sur les Champs-Elysées ; en réplique, un drapeau rouge est hissé sur la colonne de la place de la bastille, la tension continue à monter.

Inquiet, le gouvernement dirigé par Adolphe Thiers tente, le 18 mars, de récupérer les canons parisiens. Mais à Montmartre le peuple s’oppose à la troupe qui refuse de tirer sur la population et fraternise. Un peu partout dans Paris, la population s’en prend aux représentants du gouvernement et élève des barricades. Deux généraux, Lecomte et Clément-Thomas qui avait participé à la répression du soulèvement de juin 1848, sont arrêtés et exécutés par la foule : c’est le début de l’insurrection.

Apprenant les événements, Victor Hugo écrit dans son journal : « Thiers, en voulant reprendre les canons de Belleville, a (…) jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie préméditée ».

Le gouvernement tout entier ainsi que les « possédants » parisiens quittent la capitale pour se réfugier à Versailles.

Le 26 mars, Paris organise des élections pour désigner les 92 membres du « Conseil de la Commune ».

Les arrondissements de l’Est, du Nord et du Sud votent massivement pour les candidats fédérés, ceux du centre parisien votent eux pour les candidats modérés (20 élus).

Toutes les tendances politiques républicaines, socialistes et anarchistes sont représentées. On y dénombre notamment 33 artisans et petits commerçants, 24 professions libérales ou intellectuelles et 6 ouvriers.

De nombreuses mesures sociales sont immédiatement votées : séparation de l’Eglise et de l’Etat, école gratuite et laïque, liberté de la presse, promotion des femmes, élus révocables, suspension du remboursement des dettes contractées pendant la guerre pour 3 ans, réquisition des logements vacants au profit des sinistrés…

C’est un nouvel ordre autogéré qui se met en place. L’objectif des « communards » est d’imposer une autonomie parisienne et un certain nombre de « versaillais » n’y sont pas hostiles.

De nombreuses actions symboliques de destruction de l’ancien ordre sont prises : incendie de l’hôtel particulier de Thiers, démolition de la colonne Vendôme avec la statue de Napoléon 1er à son sommet.

De nombreux « clubs de discussion » se mettent en place où la population peut se retrouver pour y discuter de la situation, proposer des solutions, voire faire pression sur les élus ou aider l’administration communale. Ils permettent à des orateurs réguliers ou occasionnels (comme Louise Michel, Gustave Courbet ou Louis Pottier) de faire entendre les aspirations de la population et de débattre de la mise sur pied d’un nouvel ordre social favorable aux classes populaires.

Le 16 avril, un décret réquisitionne les ateliers abandonnés par leurs propriétaires et prévoit de les remettre à des coopératives ouvrières. La journée de travail y est de 10 heures et l’encadrement est élu par les salariés.

Le 20 avril, les bureaux de placement de la main d’œuvre, agissant bien souvent comme des « négriers », sont supprimés et remplacés par des bureaux municipaux. La Commune interdit les amendes patronales et retenues sur salaires, et pour lutter contre le sous-salariat dans les appels d’offres, un cahier des charges avec indication du salaire minimum est créé.

Dans son programme du 19 avril, la Commune écrit : « La Révolution communale, commencée par l’initiative populaire du 18 mars, inaugure une ère nouvelle de politique expérimentale, positive, scientifique. C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la Patrie ses malheurs et ses désastres. »

La Commune reconnaît l’union libre, interdit la prostitution et met en place un début d’égalité salariale, mais elle manquera de temps pour instaurer le droit de vote des femmes.

La révolte parisienne est l’un des événements les plus médiatisés de l’époque. La Commune est suivie par les journaux européens aussi bien que dans l’aire d’influence britannique (Canada, Inde, Australie) et dans l’espace atlantique (Brésil, Mexique, États-Unis). D’après l’examen des télégrammes circulant sur le réseau du câble transatlantique, l’écrasante majorité des informations de cette période concerne l’insurrection parisienne !

Du côté des opérations militaires, le gouvernement Thiers bénéficie de l’appui des troupes prussiennes massées non loin de la capitale, côté Est et Nord. Ainsi, Bismarck libère près de 60 000 prisonniers de guerre qui peuvent s’adjoindre aux 12 000 soldats dont dispose Thiers.

Côté parisien, on compte sur environ 170 000 hommes, mais seulement 20 000 vraiment aguerris, la plupart de ces « soldats » n’ayant pratiquement pas d’expérience militaire, et s’ils sont animés d’ardeur républicaine, ils sont aussi assez réticents à la discipline. Le commandement n’est pas non plus à la hauteur d’une armée professionnelle.

Clémenceau propose une conciliation mais Thiers refuse et passe à l’attaque.

Barricade parisienne

Le 2 avril, les Versaillais s’emparent de Courbevoie et de Puteaux, les fédérés se repliant vers Neuilly.

Pendant trois semaines, les combats sont sporadiques, mais les bombardements intensifs, en particulier sur Neuilly.

Le 21 avril, le gouvernement Thiers impose le blocus ferroviaire de la capitale.

Au soir du 26, le village des Moulineaux est occupé par les Versaillais.

Le 4 mai, aidés par une trahison, ils enlèvent la redoute du Moulin-Saquet, le 5, ils s’emparent du village de Clamart, le 8, l’enceinte fortifiée de Paris est bombardée de Grenelle à Passy, tandis que le 9, le fort d’Issy est pris.

Le 21 mai, l’armée versaillaise pénètre dans Paris par la porte de Saint-Cloud, mal défendue, et avance jusqu’à l’Arc de Triomphe.

Les destructions et incendies d’immeubles liés aux combats de rue et aux tirs d’artillerie sont légion : le palais des Tuileries, le palais d’Orsay, le palais Royal et finalement l’Hôtel de ville le 24 mai avec la perte de la totalité des archives de Paris ainsi que tout l’état civil à partir de 1515 (environ 1/3 pourra être restauré).

Du côté des immeubles privés, on notera la perte de la maison de Prosper Mérimée qui brûla avec tous ses livres, correspondances et manuscrits, celle du sculpteur Jacques-Édouard Gatteaux ou celle de Jules Michelet. Le musée de la manufacture des Gobelins est également touché par l’incendie avec la perte d’environ 80 tapisseries.

De nombreux autres édifices furent sauvés par la volonté de quelque uns (aussi bien communards que versaillais) : l’Hôtel-Dieu et Notre-Dame, les Archives nationales ou le palais du Louvre.

L’expérience de la Commune de Paris se termine le 28 mai à la fin de « la semaine sanglante » :

  • Le 22, les Versaillais occupent les 15e et 16e arrondissements, les portes d’Auteuil, de Passy, de Sèvres et de Versailles et s’emparent de l’Élysée, de la gare Saint-Lazare et de l’École militaire.
  • Le 23, la butte Montmartre tombe : 42 hommes, 3 femmes et 4 enfants, pris au hasard, sont conduits rue des Rosiers, devant le mur où les généraux ont été exécutés le 18 mars, et sont fusillés. Les Versaillais occupent l’Opéra, le faubourg Montmartre et la Concorde et procèdent à des exécutions massives à Montmartre, au parc Monceau et à la Madeleine.
  • Le 24, les Versaillais occupent la Banque de France, le Palais-Royal, le Louvre et Notre-Dame des Champs. Le docteur Faneau, à la tête de l’ambulance établie au séminaire Saint-Sulpice, est passé par les armes avec 80 fédérés blessés. Le quartier latin est pris en soirée et ses défenseurs (près de 700) sont exécutés. De leur côté, les communards exécutent l’archevêque de Paris Georges Darboy (qu’ils avaient tenté d’échanger contre Auguste Blanqui) et cinq autres otages. Ils ne tiennent plus que les 9e, 12e, 19e et 20e arrondissements, soit un quart de la capitale.
  • Le 25, les combats se poursuivent à la Butte-aux-Cailles.
  • Le 26, seuls le canal de l’Ourcq, le bassin de la Villette, le canal Saint-Martin, le boulevard Richard-Lenoir, la rue du Faubourg-Saint-Antoine et la porte de Vincennes restent aux mains des communards.
  • Le 27, c’est au cimetière du Père-Lachaise que les combats se poursuivent. 147 communards sont fusillés au « Mur des Fédérés » qui est aujourd’hui le lieu habituel des commémorations de la Commune.
  • Le 28, les combats se poursuivent dans Belleville puis les Versaillais prennent la dernière barricade.

En prenant en compte les tués hors de Paris, on estime entre 20 et 30 000 le nombre des fusillés lors de cette « semaine sanglante », c’est-à-dire le plus grand massacre de civils de l’histoire française.

Pour autant, en seulement 72 jours et en état de guerre, la Commune a pris et commencé à mettre en œuvre des mesures sociales d’une ampleur jamais connue auparavant, dont certaines attendront la fin du 20ème siècle pour être reprises tandis que d’autres attendent toujours, comme la possibilité de révoquer les élus.

 

En juin, des procès expéditifs conduisent à de nouvelles exécutions.

Comme toujours, « l’Histoire est écrite par les vainqueurs » et en juillet, le nouveau pouvoir fait réaliser des photomontages (à partir de vraies photographies) pour montrer la « barbarie » des communards.

En août, on traque encore ceux qui ont été identifiés sur des photographies !

En décembre, au procès de Louise Michel, c’est Victor Hugo qui prend sa défense : elle sera déportée en Nouvelle-Calédonie.

En décembre toujours, Thiers interdit toute évocation mémorielle des événements et déclare : « il ne s’est rien passé ».

Aujourd’hui encore, à l’exception du mur des Fédérés au Père Lachaise, il n’existe aucune plaque ni aucun souvenir de cette période. Même aux parc des Buttes Chaumont où au moins 300 communards furent fusillés, jetés dans le lac puis « repêchés morts » pour être finalement brûlés en plein air. « Le sol était jonché de leurs cadavres ; ce spectacle affreux servira de leçon» écrira Adolphe Thiers.

Au 20ème siècle, on donnera l’occasion à un autre Adolf de s’illustrer aussi de manière barbare… N’oublions pas ces crimes et l’idéologie qui les porte en germe.

Le Mur des Fédérés

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