Vers une hiérarchisation des exilés ?

Il est heureux de constater le grand élan de solidarité et les généreuses politiques d’accueil mises rapidement en place par les pays européens pour recevoir les populations ukrainiennes fuyant les bombardements. Spectaculaire revirement de posture à l’égard des exilés pour l’Europe et plus particulièrement pour ses pays frontaliers à l’Est, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne. Souvenons-nous que durant l’année 2021, les zones frontalières avec la Biélorussie de ces trois pays ont été le siège de violation systématique des droits de l’homme à l’égard des réfugiés.

A la frontière polonaise

Quelques milliers de réfugiés en provenance d’Afghanistan, d’Irak, du Yémen, d’Iran et de Syrie (toujours en guerre depuis 10 ans), des femmes, des hommes et des familles avec enfants se sont retrouvés bloqués notamment à la frontière polonaise, ne pouvant ni retourner sur leur pas, ni entrer dans l’union européenne. Des migrants pris au piège de conflits géopolitiques, poussés d’un côté par les forces biélorusses cherchant à déstabiliser l’Union Européenne et de l’autre par les autorités polonaises ultraconservatrices employant la méthode forte pour repousser les réfugiés.

Une situation inhumaine

En Pologne, ces réfugiés utilisés comme des armes diplomatiques ont été contraints de passer l’hiver dans l’immense forêt de Białowieża traversée par la frontière. Plus d’une dizaine d’entre eux y ont trouvé la mort par hypothermie, épuisement, noyade, manque de nourriture… Depuis le mois de septembre 2021, l’état d’urgence instauré en Pologne a transformé cette zone, le long de la frontière de 400 km, en zone de non-droit en interdisant l’accès aux journalistes mais aussi aux associations humanitaires. Les réfugiés abandonnés de tous vivent sans abri sous des températures inférieures à zéro degré et restent sans assistance médicale et humanitaire. Seuls une poignée d’activistes polonais bravent les interdits et la surveillance des 10 000 soldats venus porter renfort aux gardes-frontières pour leur porter secours.

Un nouveau mur à l’Est

Dans le même temps, la Pologne entreprend la construction d’un mur de barbelé sur 180 km équipé de caméras et de capteurs à détection (coût 350 M d’euros) au cœur d’une des dernières forêts primaires d’Europe, projet dénoncé par les écologistes (pour en savoir plus sur Reporterre ICI). Ce pays a été devancé quelques mois plus tôt par la Lituanie qui annonçait une barrière métallique de 500 km le long de la frontière avec la Biélorussie, tout en rejetant dans leur totalité les 230 demandes d’asile traitées.

Les droits humains bafoués

En octobre 2021, la Pologne a légalisé le refoulement des migrants et des demandeurs d’asile par la force, ce qui est illégal en vertu des conventions européennes et internationales des droits de l’homme sur le droit d’asile. Amnesty international a déclaré que la Pologne et la Lituanie ont violé les lois internationales en ne respectant pas les droits des migrants et en limitant l’accès des demandeurs d’asile sur leur territoire. L’UE et ses états membres qui critiquaient jusque là l’état des droits de l’homme en Pologne se disent alors solidaires de celle-ci tout en craignant une catastrophe humanitaire.

Du côté de chez nous

Les associations humanitaires continuent d’interpeller les pouvoirs publics pour mettre à l’abri les exilés. Dans un appel à manifestation pour la mise à l’abri de 150 afghans vivant sous tente dans un parc à Pantin, on peut lire sur le site d’Utopia 56 : « Les multiples appels à la solidarité avec les Ukrainien·nes et les moyens mis en place interrogent celles et ceux qui, depuis des mois, des années, accueillent et secourent des personnes exilées qui dorment sous des tentes. Une réalité qui vient mettre en lumière le manque de volonté d’accueil des pouvoirs publics au détriment du respect de la dignité et des droits humains. »

A Calais, seuls les ukrainiens ont été pris en charge par la mairie, les autres réfugiés qui ont aussi vécu l’expérience de la guerre et de l’exil continuent à vivre sous tente dans la boue et à être expulsés tous les matins (retrouver ICI un reportage de Reporterre).

Cette attitude discriminatoire des autorités françaises en matière d’accueil est parfaitement illustrée par la phrase scandaleuse du président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale: « Ce sera sans doute une immigration de grande qualité dont on pourra tirer profit” en parlant du flux migratoire en provenance de l’Ukraine.

La solidarité : un délit ?

Paradoxalement, et bien que le délit « de solidarité » n’existe pas juridiquement, régulièrement en France comme chez nos voisins européens, nombre de personnes apportant une aide à une ou un exilé.e « de moindre qualité » comparaissent encore en justice. Ainsi, sur le média dédié aux migrants Les dreamers, on peut lire cet article relatant la condamnation à treize ans de réclusion et 500 mille euros d’amende pour Mimmo Lucano, ancien maire d’un village calabrais, qui avait imaginé un système d’accueil efficace des migrants dans son village déserté de ses habitants.

Pour aller plus loin:

Un extrait d’une étude universitaire sur la « crise » migratoire à la frontière Biélorusse ICI

Un reportage du média Euronews dans un camp de réfugiés organisé par la Biélorussie ICI

Et parce que « il faut rire de tout » comme disait Pierre Desproges, une chronique de l’humoriste Waly Dia dans l’émission Par Jupiter ICI

Mais au fait, c’est quoi exactement un tiers-lieu ?

Suite à nos deux articles précédents consacrés à des projets de tiers-lieux, l’un aux Quatre Routes du Lot et l’autre à Gignac, vous avez certainement envie d’en savoir davantage au sujet de ces espaces hybrides, berceaux d’initiatives collectives. D’autant que la définition de « tiers-lieu » est plutôt floue et que le mot est devenu une sorte de fourre-tout. Il paraît d’ailleurs que 8 personnes sur 10 ne savent pas de quoi il s’agit. Nous vous livrons donc le résultat notre petite enquête.

Une tentative de définition

Tout d’abord, la définition du Ministère de la cohésion des territoires : « Les tiers-lieux sont des espaces physiques « pour faire ensemble » : coworking, microfolie, campus connecté, atelier partagé, fablab, garage solidaire, social place, makerspace, friche culturelle, maison de services au public… Les tiers-lieux sont les nouveaux lieux du lien social, de l’émancipation et des initiatives collectives. Ils se sont développés grâce au déploiement du numérique partout sur le territoire. Chaque lieu a sa spécificité, son fonctionnement, son mode de financement, sa communauté. Mais tous permettent les rencontres informelles, les interactions sociales, favorisent la créativité et les projets collectifs. En résumé, dans les tiers-lieux on créé, on forme, on apprend, on fabrique, on participe, on crée du lien social… ». Il ne vous aura pas échappé que cette définition fourmille de mots anglais qui trahissent les origines du concept de tiers-lieux.

Un petit historique

La notion de tiers-lieu remonte aux années 80 et aux travaux du sociologue américain spécialisé dans les questions urbaines, Ray Oldenburg. Selon sa définition, le troisième lieu, entre le domicile (le premier) et le travail (le second) fait référence à des espaces où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle. Parce qu’ils instaurent d’autres appropriations et partages de l’espace, ils sont selon lui importants pour la société civile, la démocratie et l’engagement civique. Plus tard, c’est la mutation des modèles traditionnels de travail et d’apprentissage qui a fait renaître la notion de tiers-lieu inspirée d’Oldenburg et qui donnera le jour à Berlin en 1995, au premier espace de travail coopératif historique, le C-base. Fondé sous forme d’un « hackerspace  » participatif avec un accès gratuit au réseau internet, il est rapidement popularisé sous le terme de « coworking » lié à ces nouvelles méthodes de travail collaboratives. En France, le 1er coworking, « La Cantine », voit le jour à Paris en 2008.

Un espace de coworking

Un panel de tiers-lieux

Si l’espace de coworking est peut-être le plus connu, il y a une multitude de tiers-lieux, comme en témoigne la définition du ministère, avec des vocations différentes. Alors, pour s’y retrouver, nous allons nous appuyer sur la classification de Raphaël Besson, chercheur en économie territoriale et développement local. Cette typologie, d’ailleurs basée sur les travaux d’Oldenburg, père des tiers-lieux, distingue :

  • Les tiers-lieux d’activités désignent les espaces de travail partagés et collaboratifs. Ils répondent aussi bien aux besoins des jeunes entrepreneurs, des travailleurs nomades que des entreprises en recherche de flexibilité. On y vient pour partager des outils, et surtout croiser des expériences, échanger, imaginer des projets.
  • Les tiers-lieux d’innovation visent à stimuler les procédés d’innovation à travers l’intelligence collective, l’expérimentation et le prototypage. On retrouve par exemple dans cette catégorie les makerspaces (atelier de fabrication numérique avec mise à disposition de machines-outils), les Fab labs (laboratoires de fabrication où l’on trouve des machines, des artisans, du matériel de fabrication…) et les Living labs (laboratoires vivants participatifs qui impliquent les utilisateurs finaux dans la recherche d’innovation).
  • Les tiers-lieux culturels ont vocation à partager les savoirs et les cultures, en positionnant l’usager au cœur des processus d’apprentissage, de production et de diffusion de ces connaissances. Il peut s’agir des Bibliothèques Troisième Lieu, des centres de culture scientifique, des espaces d’exposition, de microfolies (plateformes culturelles de proximité)…
  • Les tiers-lieux sociaux sont animés par une ambition sociale. Ils répondent aux enjeux de société, de participation citoyenne et d’action publique. À ce titre, on peut citer Disco Soupe, installé à Sarcelles, où les habitants partagent leurs ressources, savoir-faire et compétences afin de préparer des repas pour les personnes en difficulté.
  • Les tiers-lieux de services et d’innovation publique sont déployés par les collectivités pour dynamiser leurs territoires. On peut citer les maisons de services aux publics, les conciergeries solidaires, les commerces multi-services…

Au-delà de ces catégories, beaucoup d’espaces hybrides et multiformes voient le jour avec toujours les mêmes préoccupations: développer « le faire ensemble » et retisser des liens.

Micro-Folie de Sevran pour amener l’art en banlieue

Une finalité commune

Si chaque tiers-lieu est unique car il est à l’image des besoins et des opportunités de son territoire, il repose toujours sur les mêmes notions clés:

  • Une communauté : lieux de sociabilité, les tiers-lieux favorisent les échanges et les rencontres entre des acteurs aux parcours et projets variés, mêlant ainsi co-création, partage, convivialité… Un tiers-lieu n’est pas la somme de projets individuels mais bien un projet collectif, voulu et porté par une communauté (habitants, entreprises, indépendants, associations, collectivités…).
  • Un territoire: les tiers-lieux physiques s’intègrent aux projets de développement de leur territoire. Ils sont adaptés à leur environnement pour y apporter une réelle valeur ajoutée au service des usagers.
  • Une gouvernance: lieux basés sur la co-création, leur gouvernance et fonctionnement tendent à être ouverts et participatifs.
  • Des animations: lieux vivants, les tiers-lieux sont animés le plus souvent par la communauté elle-même afin de partager et mettre en lumière les capacités et talents de chacun.

Finalement, nous pourrions définir le tiers-lieu comme tout espace ouvert et hybride, entre écosystème créateur de valeur et lieu de vie. Sa principale vocation est de favoriser les échanges et les rencontres entre des acteurs hétérogènes d’un territoire donc le bien vivre ensemble, tout en activant les ressources locales et, in fine, créer de la valeur (économique, sociale, éducative…) sur ce dernier.

Une démarche de co-construction qui renvoie au projet des Quatre Routes du Lot

Espace décloisonné et ouvert sur l’extérieur, le tiers-lieu s’inscrit dans l’idée que chaque personne a quelque chose à apporter pour participer à la vie de la communauté et que chacun est à la fois usager et contributeur de cet espace partagé. En s’appuyant sur l’expertise des porteurs de projet, la mise en place de celui-ci se fait en général à travers une démarche participative de co-construction avec les citoyens. Les activités qui sont proposées dans ces espaces correspondent à des besoins identifiés du territoire. En permettant de repenser et de relocaliser la création d’activités au sein des territoires, en proposant des projets inclusifs, les tiers-lieux offrent une réponse à la disparition des lieux de socialisation traditionnels, à la désertification, à la fracture numérique et à l’isolement culturel.

Enfin, pour comprendre ces endroits atypiques et découvrir les formes très différentes qu’ils peuvent prendre, deux journalistes ont entrepris un tour de France des tiers-lieux qu’elles nous restituent sous forme d’un podcast documentaire intitulé « T’as de beaux lieux ». Tous les 15 jours, elles nous livrent un reportage consacré à un de ces lieux qui changent le monde, ces nouveaux espaces d’expérimentation qui tentent d’inventer une société plus soutenable, plus durable. Pour les oreilles curieuses, c’est ICI !

Retour sur les origines de la crise en Ukraine

Alors que le numéro de mars du mensuel, le Monde diplomatique, partait pour l’impression, l’armée russe n’avait pas encore attaquée l’Ukraine. Cependant, dans le numéro de février, alors que les menaces d’une intervention militaire russe étaient réelles, le chercheur David Teurtrie dans un article  » Ukraine, pourquoi la crise », faisait une analyse pertinente de la genèse de ce conflit et de ses enjeux géopolitiques. À la demande d’un grand nombre de ses lecteurs, le journal a mis cet article en accès libre. Alors que l’émotion et l’indignation sont à leur comble et à juste titre, il semble nécessaire de prendre un peu de recul pour contextualiser cette situation tragique et appréhender dans leur complexité les relations internationales qui ont fait le terreau dans lequel s’enracine ce conflit.

La crise en Ukraine au moment des accord de Minsk en 2015

Selon l’auteur, « le malentendu remonte à l’effondrement du bloc communiste en 1991 ». Alors que l’OTAN n’avait plus lieu d’être puisqu’elle avait été créée pour faire face à la menace soviétique, aucun schéma d’intégration de cette autre Europe n’a été proposé. Pourtant les élites russes n’ont jamais été aussi pro-occidentales qu’à cette période. Six ans plus tard, contrairement à ce qu’avaient promis les dirigeants occidentaux à M. Mikhaïl Gorbatchev, l’OTAN s’élargit à tous les pays d’Europe de l’Est. En 1999, Boris Eltsine, qui avait œuvré à l’implosion de l’URSS, ne voit pas sa contribution récompensée mais sort au contraire comme le grand perdant sur le plan géopolitique de la guerre froide et les élites russes se sentent trahies.

Lorsque l’Alliance Atlantique entre simultanément en guerre contre la Yougoslavie, l’OTAN, bloc défensif, se transforme en alliance offensive et viole le droit international, viol réitéré par les États-Unis lorsqu’ils poussent à la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, juridiquement  province serbe et quand ils envahissent l’Irak sans aval de l’ONU. Selon, David Teurtrie « les Occidentaux ayant ouvert la boîte de Pandore de l’interventionnisme et de la remise en cause de l’intangibilité des frontières sur le continent européen, la Russie leur répond en intervenant militairement en Géorgie en 2008 […] Mais, en remettant en cause l’intégrité territoriale de la Géorgie, la Russie viole à son tour le droit international. »

Retrouver l’intégralité de l’article « Ukraine, pourquoi la crise » en accès libre ICI

Il est urgent de (re)lire « 1984 » de George Orwell

La traduction de « вооруженные силы россии гарант мира » est « Les forces armées russes garantes de la paix ».

Quand on voit ce genre de slogan, on ne peut pas ne pas penser au roman « 1984 » dans lequel le ministère de la Paix s’occupe de la guerre, celui de l’Amour du respect de la loi et de l’ordre, et celui de la Vérité de la propagande.

Extrait de « 1984 »

 

Ukraine : Halte à la guerre

Il est possible de faire un don pour aider les Ukrainiens auprès d’associations reconnues, permettant de s’assurer de la bonne affectation des fonds et de contrer les escroqueries en tous genres qui se multiplient depuis le début du conflit, y compris par le biais d’associations spécialement créées pour la circonstance.

Voici 4 organismes labellisés « Don en confiance » auxquels vous pouvez donner :

Et n’oubliez pas – le cas échéant – de cocher la case « Urgence Ukraine » pour la bonne affectation de votre don.
Merci pour eux.

L’industrie minière prépare le pillage des fonds marins

Le sommet sur les océans a donné le feu vert au capitalisme bleu

Peu d’avancées concrètes ont été réalisées à Brest, au « One Ocean Summit » qui s’est surtout transformé en festival de « la croissance bleue » et avalisé l’exploration des fonds marins.

Du 9 au 11 février, ce sommet international souhaité par Emmanuel Macron a réuni des représentants du milieu scientifique, des jeunes entreprises, des ONG libérales, des multinationales, banques, assurances, et un nombre de chefs d’État bien plus petit que ce qui avait été annoncé au début (une vingtaine seulement, dont le dictateur égyptien Abdel Fattah al-Sissi qui accueillera la COP27 à l’automne).

En huis clos, dans les anciens entrepôts qui surplombent le port militaire et malgré les grands discours, les déclarations concrètes sont restées limitées.

Rien sur la surpêche ni sur l’exploration minière sous-marine qui a été reléguée dans les couloirs pendant les pauses entre les grosses conférences, devant à peine une vingtaine de personnes.

Car, riches en minerais, les fonds marins sont la cible d’États et de compagnies minières. Si l’exploitation n’a pas encore commencé, la pression grandit et les conséquences pourraient être irréversibles.

La prochaine ruée vers l’or aura des airs de plongée

Car c’est désormais sur les fonds marins que lorgnent les compagnies minières : Thallium, cobalt, or, manganèse, nickel, les abysses regorgent de minerais. Alors que les gisements terrestres s’épuisent.

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Du nucléaire, vous en reprendrez bien quelques tranches ?

La centrale nucléaire du Bugey

Le 10 février dernier, le Président de la République a annoncé sa volonté de construire quatorze réacteurs EPR d’ici à 2050.

Pour justifier sa relance du nucléaire, le chef de l’État prétend s’être appuyé sur une lecture rigoureuse des experts. Mais il a écarté les analyses provenant de l’ADEME parce qu’elles ne vont pas dans le sens de l’atome à tout-va. Et il se joue des rapports RTE.

Dans son discours, M. Macron a prétendu se fonder sur « ce qu’expliquent les experts », assurant les avoir « lus rigoureusement ». En fait, le président de la République a eu une lecture très sélective…

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Retour sur le Forum Européen de l’Eau

Initié par Benoît Biteau, paysan, agronome et député européen écologiste, un premier Forum Européen de l’eau s’est tenu fin janvier à la Rochelle. Pour les intervenants d’horizons différents réunis, aussi bien professionnels du domaine de l’eau que citoyens militants au sein de collectifs, il était question de « Libérer l’Eau de La Bourse ».

En attendant le compte rendu des ateliers rencontres qui se sont déroulés durant ce forum, nous relayons ici une publication des organisateurs :

Le 25 janvier dernier, le Forum Européen de l’Eau a été le rendez-vous des acteur.rice.s engagé.e.s pour la préservation de la ressource en eau. Ce bien commun indispensable à la vie des être vivants sur Terre est la priorité du XXIè siècle. Associations, scientifiques, collectifs, politiques, syndicats, citoyen.ne.s se sont réuni.e.s au Forum des Pertuis à La Rochelle pour partager ensemble leur expérience, leurs connaissances et leurs engagements sur l’eau.

À cette occasion, Riccardo Petrella (président de l’association de l’Agora des Habitants de la Terre) est intervenu pour présenter le long processus, en cours depuis des dizaines d’années, amenant à la privatisation de l’eau, sa monétisation puis sa financiarisation.

Pour bien comprendre la nature de l’enjeu en cause, il a été important de rappeler qu’en 1992, sous la pression de la Banque mondiale et du monde des affaires, la communauté internationale a affirmé pour la première fois dans l’histoire que l’eau devait être considérée principalement comme une valeur économique et non plus comme une valeur sociale, collective. L’eau a alors été soumise aux principes et aux mécanismes de l’économie. Sur cette base, la marchandisation de l’eau, la libéralisation et la privatisation des services hydriques ont pris une envolée rapide à travers le monde.
La financiarisation s’en est suivi massivement. Le travail à la monétisation de l’eau s’est fait avec acharnement (donner une valeur monétaire marchande aux fleuves, aux nappes, à l’eau de pluie, aux glaciers, etc.) dans le cadre de la monétisation généralisée de la nature.
La politique de l’eau est devenue essentiellement une politique de gestion optimale, par rapport au capital investi, d’une ressource naturelle et industrielle de plus en plus rare. L’approche économique
est devenue omniprésente, elle s’est imposée en tant que norme, voire dogme.
Ce qui a amené à ce que, depuis le 7 décembre 2020, l’eau est entrée en Bourse, ouvrant ainsi les marchés des produits dérivés, hautement spéculatifs. Partout dans le monde, des mobilisations et des luttes des peuples, des paysans, des populations autochtones, des citoyens s’opposent à un tel asservissement de la conception de la vie aux logiques marchandes et financières.

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Après le film « Après demain »

Mardi dernier, CinéLot, Ecaussystème et le Foyer Rural vous ont proposé le film « Après demain » de Cyril Dion.

Cette projection était organisée en partenariat avec Enercoop Midi-Pyrénées, coopérative fournisseur d’électricité renouvelable, forte de 4000 sociétaires, et qui agit pour la transition énergétique citoyenne sur le territoire. Elle développe ses propres moyens de production, comme le parc solaire de Lachapelle-Auzac, installé sur un ancien entrepôt de pneus à quelques kilomètres de Souillac, et que l’un de nos adhérents, sociétaire Enercoop, a pu visiter ce 1er février.

Pour aller un peu plus loin que le film, nous vous donnons ci-dessous quelques compléments d’informations ainsi que quelques points à prendre en considération quant à notre situation énergétique et notre consommation électrique.

En premier lieu, la vidéo d’une rencontre et échanges avec Cyril Dion suite à la projection en avant-première de ce film « Après Demain ».

Ensuite, « Après-demain » se veut comme une réponse, une mise en image des différentes expériences prônées par le précédent film de Cyril Dion : « Demain ». Il nous a donc semblé intéressant de vous proposer quelques pistes pour découvrir ce premier volet si vous ne l’avez pas déjà vu :

Fiche technique : 2015 / 1h 58min / Documentaire / De Cyril Dion et Mélanie Laurent / Avec Mélanie Laurent, Cyril Dion, Jeremy Rifkin

Synopsis : Et si montrer des solutions, raconter une histoire qui fait du bien, était la meilleure façon de résoudre les crises écologiques, économiques et sociales, que traversent nos pays ? Suite à la publication d’une étude qui annonce la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100, Cyril Dion et Mélanie Laurent sont partis avec une équipe de quatre personnes enquêter dans dix pays pour comprendre ce qui pourrait provoquer cette catastrophe et surtout comment l’éviter. Durant leur voyage, ils ont rencontré les pionniers qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation. En mettant bout à bout ces initiatives positives et concrètes qui fonctionnent déjà, ils commencent à voir émerger ce que pourrait être le monde de demain…

Bande-annonce ICI

Et notre consommation énergétique et électrique ?

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Penser l’émancipation avec Jacques Rancière

En cette période pré-électorale agitée et plutôt singulière, il est intéressant de prendre du recul et de se tourner vers les philosophes qui ont une approche autre des phénomènes qui traversent notre société.

A 81 ans, le philosophe Jacques Rancière, penseur infatigable de l’émancipation, continue à creuser avec obstination le sillon d’une philosophie politique autour des thèmes de la démocratie et de l’égalité. Sa philosophie de l’émancipation est définie dans un article de Philosophie magazine comme « celle de la participation de tous à l’exercice de la pensée, et donc au gouvernement de la cité. Contre les nouveaux ennemis de la démocratie, ces intellectuels qui prétendent détenir la Vérité, Jacques Rancière se bat pour l’abandon de la traditionnelle distinction entre savants et ignorants. » Pour lui tous les hommes sont à même de philosopher, de penser et de faire émerger d’autres mondes possibles.

Penser l’émancipation

Dans ses nombreux ouvrages (plus de 30 livres) le philosophe bouscule les idées reçues. Son approche des notions de démocratie, d’égalité et de politique redonne du sens, voire une essence à ces concepts alors qu’ils nous échappent toujours davantage tant ils débordent d’interprétations dans les multiples usages qu’en fait notre société ultra médiatisée. Ce qui est étonnant, c’est de voir à quel point les travaux même les plus anciens du philosophe restent toujours d’actualité. Nous connaissons tous la source grecque de la démocratie mais dans son livre « Aux bord du politique » en 1998, il nous rappelle que le démos grecque, avant d’être le nom de la communauté toute entière, était le nom d’une partie de cette communauté: les pauvres, au sens de ceux qui n’étaient pas comptés, de ceux qui n’avaient pas droit à la parole. Or, pour Jacques Rancière, le processus démocratique advient justement lorsque ceux qui sont hors champ, qui n’ont pas droit à la parole surgissent sur la scène politique : « la démocratie est l’institution même de la politique ». Et il oppose, politique et logique gestionnaire, logique dominante dans le sens que c’est « aux bords du politique » dans  l’expression de l’émancipation que ce produit le mouvement qui instaure la politique.

Déclarer les individus égaux ne suffit pas à instaurer la démocratie

Pour qu’il y ait démocratie, « il faut qu’il y est encore cette puissance du démos ». La démocratie n’est pas un lieu pacifié mais un processus de remise en question, une mise en mouvement, un renouvellement incessant. Or, si la démocratie est face à une impasse, il faut remonter à ses origines au 6ème siècle avant J.C grâce aux réformes de Clisthène qui mit en place « un ordre artificiel de la communauté ». Il s’explique dans l’émission « A voix nue » sur France Culture en 2011: « L’idée normale de la communauté, c’est qu’il y a des supériorités déjà existantes qui définissent automatiquement des infériorités, c’est-à-dire s’il y a des savants, il y a des ignorants, s’il y a des parents, il y a des enfants… Et la communauté, c’est aussi un peu la logique policière, la communauté est censée être son organisation comme la conséquence d’une supériorité déjà existante. Qu’est-ce-que vient faire la démocratie là-dedans ? La démocratie, c’est justement instituer comme un supplément et un supplément incroyable, invraisemblable, à savoir un pouvoir qui n’est le pouvoir de personne en particulier, qui n’est le pouvoir d’aucune supériorité déjà existante. »

Le consensus nuit à la démocratie

Pour Jacques Rancière, la notion de dissensus s’oppose à l’ordre policier qui est un ordre « consensuel » : « Le dissensus commence quand ceux qui ne parlent pas d’habitude se mettent à parler au sens le plus fort. Et ça, c’est quelque chose qui se passe, qui s’est répété constamment à toutes les avancées démocratiques dans l’histoire. » Il insiste sur ce qu’est la politique, fondamentalement, c’est « être à une place où on ne doit pas être » et il cite des exemples comme la militante féministe Jeanne Deroin, candidate aux législatives de 1849, ou encore Rosa Parks qui initia le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Tandis que le consensus tend à faire disparaître le fondement de la politique, les sujets politiques émergent quant à eux dans la manifestation de leur désaccord. Avec la fin des idéologies, la politique s’est confondue avec le processus policier et s’est flanquée de sa nouvelle rationalité économique. Mais au lieu de donner place à une certaine pacification, on vit réapparaître l’archaïsme politique : « ce qui apparaît sur le devant de la scène ce n’est pas la modernité sans préjugés, mais le retour du plus archaïque, de ce qui précède tout jugement, la haine nue » de l’autre. Et il associe la montée en puissance de l’extrême droite au refus radical de la politique.

La résurgence du discours antidémocratique en France

Dans son livre La Haine de la démocratie, le philosophe cherche à comprendre pour quelles raisons une élite intellectuelle, relativement privilégiée au sein d’États dits « démocratiques », en est arrivée à un tel mépris et une telle haine pour le principe de démocratie. Sa thèse principale est qu’il existe une confusion sur le terme de démocratie. Il nous rappelle que le premier grand critique de la démocratie c’est le philosophe grec Platon qui dénonçait l’individualisation des mœurs qu’apporte la démocratie. Depuis, la critique n’a pas évoluée : pour les intellectuels et hauts représentants de l’Etat, la démocratie enlève toute limite aux peuples et menace le bien commun. Il n’y a plus de distinction entre ceux qui ont le pouvoir de prendre les bonnes décisions, qui ont le savoir, et le reste de la population. L’auteur voit aussi dans cette critique une haine de l’égalité. Pour les penseurs marxistes, « la démocratie, c’est le règne du consommateur, du consommateur individualiste qui s’occupe de son bon plaisir » au détriment des valeurs collectives.

La démocratie n’est pas une forme de gouvernance

Jacques Rancière définit la démocratie comme un principe au-dessus de l’État tout en constituant des pratiques en dessous de celui-ci: à la fois principe d’égalité indispensable entre les humains et à la fois la pratique qui consiste à remettre en cause le statu quo imposé par les élites gouvernantes. La haine de la démocratie résulte d’une mauvaise compréhension de ce concept, et les maux de civilisation (atomisation de la société, montée de l’individualisme, populisme, etc.) qu’on lui attribue sont en fait la preuve de sa vitalité. Pour le philosophe, système électoral représentatif (suffrage universel) et démocratie ne vont pas ensemble. Ce suffrage a une nature double : d’un côté, il donne la possibilité d’élire n’importe qui, et en cela stimule raisonnablement les tendances démocratiques de la population ; mais d’un autre côté, il assure surtout la reproduction d’oligarchies dominantes. Ces oligarchies au pouvoir tentent de dépolitiser la sphère publique, de la privatiser. Le fait de remettre en cause cette démarcation est une manifestation de vie politique et démocratique. Dans une interview accordée à la chaîne web MatriochK, il rappelle que la présidence de la République élue a été mise en place par les monarchistes en 1848 dans le but de faire contre poids à une forme d’agitation populaire « malsaine » tout en escomptant que ce système allait ramené la monarchie et il conclue « la démocratie, c’est le tirage au sort, pas l’élection ».

Jacques Rancière vient de publier : « Les trente inglorieuses » à la Fabrique Editions. A cette occasion, il a accordé une interview très intéressante à la journaliste Aude Lancelin, fondatrice du média libre et indépendant Quartier Général, visionnable ICI